Une marque née d’un bar à Koenji

Comment un whisky et un sukajan ont tout changé

En 2018, après trois semaines à arpenter Tokyo comme un touriste appliqué (temples cochés, sushis avalés, photos de néons postées), je me suis retrouvé par hasard dans un petit bar de Koenji. Pas un de ces endroits cool pour étrangers, mais un trou à vinyles où les murs étaient tapissés de pochettes de jazz des années 70. Le patron, un homme d’une soixantaine d’années en sukajan élimé, avec des tigres effacés par le temps, m’a servi un whisky haut-de-gamme dans un verre ébréché.

« Tu portes le Japon comme un touriste », il a lâché en regardant mes baskets neuves. Pas méchamment. Juste comme un constat.

Ce soir-là, j’ai compris deux choses.
D’abord, je ne connaissais rien – ou plutôt, seulement la version du Japon fabriquée pour les visiteurs.

Ensuite, ce qui m’attirait, c’était l’autre Japon :

- Celui des salarymen qui enfilent un jinbei froissé après le travail, comme une seconde peau qui dit « la journée est finie » ;
- Celui des lycéens de Shibuya qui transforment leurs uniformes en tenues punk, parce qu’ici, la rébellion se porte en silence ;
- Celui des marchés d’Asakusa, où les grand-mères vendent des kimonos en polyester en souriant : « C’est pas de la soie, mais c’est solide » ;
- Celui des ouvriers qui portent des haori comme des capes, simplement parce que ça coupe le vent ;
- Celui des étudiants de Daikanyama qui superposent des vestes de travail comme pour inventer un futur de salarymen rebelles.

Ce Japon-là se cache dans les détails :
- La façon dont un haori transforme une silhouette, comme une armure discrète ;
- Les histoires qu’un sukajan raconte avec ses broderies – pilote des années 50, yakuza des années 80, ou lycéen d’aujourd’hui qui veut juste avoir l’air cool ;
- Le kimono en coton d’une grand-mère, qui devient rébellion dès qu’il se marie à des baskets.

Alors j’ai voulu créer des vêtements pour ceux qui, comme moi ce soir-là, veulent porter le Japon sans jouer un rôle. Pas pour devenir japonais. Pas pour faire semblant. Mais pour garder ce qui nous marque : l’audace des styles hybrides et cette élégance qui ne se prend pas au sérieux.

Japanstreet, ce ne sont pas des pièces de musée ni des costumes. Ce sont des vêtements pensés pour être portés : un haori en coton épais, taillé pour se glisser sur un jean ; un sukajan inspiré des broderies des années 50 ; un kimono assez solide pour le quotidien, pas seulement pour les grandes occasions. Des pièces neuves, mais qui semblent déjà avoir une histoire.

Je me suis nourri de ce que portent vraiment les Japonais :
- Les artisans de Kyoto qui enfilent un haori par-dessus un t-shirt pour aller boire un café ;
- Les vieux de Koenji dont les sukajan patinés sont devenus une seconde peau ;
- Les grand-mères d’Asakusa qui dansent en kimono de coton aux festivals de quartier.

Puis j’ai créé les miens : des vêtements avec l’âme des anciens, mais la coupe d’aujourd’hui.

Parce qu’un vrai style ne doit pas être un déguisement. Parce qu’un vêtement est beau quand il peut se porter tous les jours, jusqu’à devenir partie de vous.

Au fond, Japanstreet ne vend qu’une seule chose : l’idée que le Japon n’est pas qu'un pays. C’est aussi une attitude.
Alors, tu la portes, cette attitude ?
Pas comme un déguisement. Pas comme un hommage.
Mais comme une seconde peau – celle qui te rappelle que le style, c’est ce qui reste quand tu as enlevé les étiquettes.